Conférence – Innovation en éducation 2019 – 24 février 2019
Des changements de croyance
Dans cette conférence, André Stern nous explique que le monde a beaucoup changé ces 5 ou 6 dernières années. Ce changement nous vient de la science qui met relief le lien entre chaque chose.
L’ordre de notre société actuelle est basé sur la croyance que la compétition, la concurrence et la survie du plus fort sont la loi. Mais de nouveaux éclairages viennent change cette vision. Peter Wohlleben, ingénieur forestier, nous dit que « Loin d’étouffer les petits arbres, les grands arbres nourrissent les bébés arbres en leur donnant à téter par les racines ». Ainsi, la communication entre les plus grands et les plus petits met en avant la dépendance, la symbiose et la synergie. Ce nouveau constat remet donc en question de toutes les croyances. Par ailleurs, le scientifique Erwin Thoma nous explique que nous pouvons voir le monde comme une forêt. Ainsi, quand l’un est en danger, la loi qui s’opère est celle de la solidarité, de la symbiose et de la synergie.
Nous pouvons ainsi faire un parallèle entre le changement d’éclairage concernant la nature et le changement d’éclairage concernant l’enfance, qui ont eu lieu au même moment.
Pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, nous avons cru que l’enfance était le point zéro du développement humain. Nous pensions que l’enfant allait se bonifier avec le temps grâce à l’éducation, grandir, faire des progrès pour aboutir au point culminant du développement humain : l’adulte. L’ordre du monde est basé sur cette croyance, il est profondément ancré dans notre société, dans notre pensée, dans notre manière de voir l’enfance. De leur côté, les enfants se voient faire partie d’un océan de diversité et ils sont au milieu de la diversité avec la leur. Et il n’y a pas de hiérarchie pour eux.
Il y a 5 ou 6 ans, des scientifiques viennent avec de nouvelles preuves et remettent tout en question, et ils expliquent qu’ils se sont complètement trompés jusqu’à présent. Ainsi, les enfants viennent au monde et sont des bombes de potentiels parce que les enfants peuvent tout devenir et tout apprendre.
Il y a une explication scientifique toute simple du pourquoi les enfants peuvent tout devenir et tout apprendre : les programmes génétiques qui nous constituent n’ont aucune idée ni du quand ni du où nous allons venir au monde. Ce sont les mêmes programmes génétiques depuis des milliers d’années. Ne sachant pas dans quel environnement nous allons venir au monde ni dans quelle période, les programmes génétiques ont décidé de nous équiper de tous les potentiels afin que nous ayons forcément les potentiels dont nous aurons besoin pour survivre dans notre environnement. C’est logique et malin comme stratégie, et c’est pour cela que quand nos enfants naissent ils peuvent tout apprendre et tout devenir. Par exemple, la bouche d’un bébé est capable de prononcer tous les phonèmes de toutes les langues maternelles du monde. Quand on ne fait pas appel à ces potentiels, ils vont se réduire et même disparaitre pour faire place aux potentiels utiles voir indispensable à la survie dans son environnement. Ainsi, nous vivons une véritable hémorragie de nos potentiels pendant nos premiers mois. À la fin de cette hémorragie, il reste… un adulte. Finalement l’adulte n’est pas la version max du développement, mais l’ombre de ce qu’il aurait pu devenir.
Du coup, on se pose la question : qui sont les gardiens de nos potentiels ? Ce sont nos enfants qui tiennent entre leurs mains tout un faisceau de tous les potentiels humains. Quand nous sommes face un enfant, nous sommes du point de vue des potentiels face à un géant.
Ce nouvel éclairage nous vient de la science ce qui est réjouissant dans un monde où tout ce qui est prouvé scientifiquement a plus de poids que tout le reste. Ainsi, on ne peut plus faire comme si on n’avait rien entendu.
Un enfant blessé
André Stern a constaté que nous portons en nous un enfant blessé : « Tel que tu es, ce n’est pas terrible »
Cet état commence toujours par une question : « Alors, est-ce qu’il fait ses nuits ? » Et parce que nous avons peur du regard des autres et que nous voulons rentrer dans l’ordre de la société, nous faisons passer le message à notre enfant : « Je t’aimerais plus si tu dormais davantage ».
Nous posons encore aujourd’hui sur nous les yeux que l’on posait sur nous lorsqu’on était enfant. Nos enfants deviennent comme nous les voyons. Et donc nous sommes devenus comme on nous voyait. Et cela conduit à une société qui ne cesse de demander pardon pour tout ce qu’elle n’est pas, tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle fait, et ne fait pas. Cela conduit à une société qui adore dire une phrase : « Je suis nul en math ». Et dans cette phrase, il n’y a aucun mot juste. Scientifiquement, on pourrait dire : « Les mathématiques ne m’intéressent pas ». Cette phrase est complètement différente et est libératrice.
Un parallèle, douteux, mais perpétuel, est alors fait entre l’enfance et l’apprentissage. Apprendre n’existe pas, car ce n’est pas quelque chose que l’on fait. Apprendre est quelque chose qui nous arrive. Notre cerveau n’est pas fait pour emmagasiner de l’information, il n’est pas fait pour mémoriser des choses. Notre cerveau est optimisé pour résoudre des problèmes. Et quand une information est susceptible d’être utile pour nous aider à résoudre un problème, alors, notre cerveau l’enregistre. Nous ne pouvons enregistrer une information que lorsqu’elle active nos centres émotionnels. Ce qui conduit à nouveau à une société qui trouve totalement normal que chacun ait oublié plus de 80 % des choses qu’il ait dû apprendre, parce que cela ne l’intéressait pas. Et les 20 % que nous n’avons pas oubliés font partie d’une émotion, parce qu’une personne, une thématique nous ont touchés.
Ce regard posait sur nous quand nous étions enfants, nous le posons aujourd’hui sur les enfants de ce monde, sur nos propres enfants. Les enfants veulent entendre « Je t’aime parce que tu es comme tu es ». C’est de l’amour inconditionnel sans confiance inconditionnelle ne peut pas existait. En changeant d’attitude face à l’enfant, nous allons nous réconcilier avec l’enfant blessé.
Les centres émotionnels
Ainsi, une seule activité est capable d’activer tous les centres émotionnels : le jeu. Le jeu est plus fort que tout, que boire ou que manger. Et si on ne les interrompt pas, les enfants jouent toujours. Dans notre société, nous avons réussi à séparer jouer et apprendre. Si on demande à nos enfants d’arrêter de jouer pour commencer à apprendre, pour eux c’est aussi clair que si l’on demandait de respirer sans prendre d’air. Nous avons donc séparé l’inséparable, et nous les avons positionnés à l’opposé sur l’échelle du sérieux. Le jeu est bon pour les loisirs, apprendre est important.
Il existe toute sorte de qualité que nous aimerions voir chez l’adulte. Et ces qualités sont vécues à 100 % par nos enfants quand ils sont dans leur élément : le jeu. Ainsi, ils montrent toutes les qualités : la concentration, la constance, dépasser leur limite, la liberté, l’ouverture d’esprit, la loyauté à l’instant présent, la créativité. Nous rêvons tellement que nos enfants aient ces qualités, que nous retirons nos enfants du jeu pour leur apprendre à avoir ces qualités.
On nous a longtemps fait croire que notre intelligence est programmée par notre génétique. Cette croyance est toujours très ancrée dans notre paysage. Des travaux sont venus bouger les choses : le cerveau se développe comme un muscle selon l’usage que l’on en fait. Des programmes de stimulations précoces ont ainsi été développés, mais les résultats étaient inexistants. Parce que oui notre cerveau se développe, mais seulement quand nous l’utilisons avec enthousiasme.
En chaque enfant, il y a un génie qui attend notre enthousiasme. L’enthousiasme est l’engrais du cerveau. Nos enfants baignent dans cet engrais cérébral. Car ils ne connaissent aucune hiérarchie entre les métiers et entre les matières. Du coup ils rencontrent les maths et le tricot avec le même enthousiasme, le laveur de carreaux et l’astronaute avec le même enthousiasme. L’enthousiasme est un état natif. Pour trouver ce qui nous enthousiasme, il faut nous libérer de cette hiérarchie entre les métiers et les matières. Car ce qui t’enthousiasme n’est peut-être pas reconnu par la société et l’ordre du monde. Et on ne va pas s’avouer à nous même que cela te rendrait génial. Du coup on va se trainer toute notre vie dans les fanges de ce qui nous rend nuls, mais qui est reconnu comme étant important, même si cela ne nous intéresse pas. Et au lieu d’être dans les sphères de ce qui nous rend géniaux, nous allons nous contenter de ce qui nous rend nuls.
Cet enthousiasme et toutes les qualités sont ceux de nos enfants, sont en nous comme un lac intérieur, mais recouvert par toutes les pressions, toutes les attentes. Il faut donner un port d’attache à nos enfants en leur disant : « Je t’aime, car tu es comme tu es ».
Sylviana de Lamour en Vadrouille, pour Pass éducation