Jacques de Coulon – Le yoga dans l’éducation – Développer l’attention et le calme chez l’enfant et l’adolescent – Innovation en éducation 2019
Actuellement, le grand défi de l’éducation est la révolution numérique. Comment allons-nous vivre avec les écrans ?
Le philosophe Emmanuel Levinas dit : « Est-ce que nos enfants vont devenir des hommes numériques (une somme de données totalement analysables depuis l’extérieur) ou au contraire, l’être humain a un espace intérieur d’où ils peuvent être eux-mêmes, créer leur propre image ? »
Ainsi, le yoga propose des méthodes pour développer cette intériorité, développer cette autonomie. Le but du yoga étant la libération des conditionnements. C’est également le but de l’éducation. Déjà, dans les années 70, l’enfant souffrait d’un déficit d’attention, mais aussi de l’habitation de son corps. Ce terme est important aujourd’hui, à l’heure du numérique, où les enfants et adolescents n’ont plus de contact réel avec leur corps en raison des jeux vidéo. C’est à cette époque de Jacques de Coulon a voulu trouver une méthode pour leur permettre un outil pour développer leur attention. Il est ainsi parti à la découverte de différentes méthodes qui s’appliquaient en Californie, sans succès, car trop théorique à l’université de Berckley. Puis, il a découvert une école copte (égyptienne), fondée par Ahmed Bey. Ils y enseignaient des méthodes d’attention intégrées dans les cours, avec du travail sur les couleurs, sur les dessins symétriques et surtout les postures et le souffle. En rentrant en Suisse, Jacques de Coulon a rédigé son mémoire de pédagogie sur ce sujet, sans utiliser le mot yoga. Il a également expérimenté ces méthodes avec ses propres élèves, et un ami pédiatre. En remettant son mémoire, un des membres du jury lui a dit que ce qui était écrit décrivait le yoga, lui conseillant de l’envoyer à un éditeur de yoga. Ce dernier a accepté le livre s’intitulant « Éveil et harmonie de l’enfant ». Quelque temps plus tard, il a été contacté par Micheline Flak qui pratiquait le yoga dans l’éducation au lycée Condorcet à Paris. Après s’être rencontrés, ils ont créé le RYE (Recherche sur le Yoga dans l’Education) basé sur ce premier livre. Et, depuis 40 ans, ils ont formé des milliers d’enseignants, tant en France qu’en Suisse et dans le monde. Le RYE a été reconnu d’utilité publique par le ministère de l’Éducation nationale depuis 2012.
La clé de base : l’attention par le yoga
Le yoga n’est pas spécifique à l’Orient et à l’Inde. On retrouve des méthodes de yoga dans toutes les traditions, dans toutes les civilisations, et dans la philosophie occidentale. Le mot français qui traduit le mieux le mot « yoga » est l’« attention ». Ce terme est très vaste et permet de contenir tous les aspects multiples du yoga.
Qu’est-ce que l’attention, clé de tout apprentissage ?
D’après la philosophe Simone Weil, la formation de l’attention est le but véritable et presque l’unique intérêt des études. En effet, une fois que l’élève s’est élevé au sens d’élévation et non d’élevage, il s’élève par la capacité à faire attention.
La condition de l’attention : le calme
L’attention s’accomplit sans tensions, dans le calme intérieur.
Simone Weil explique que « le plus souvent on confond avec l’attention une espèce d’effort musculaire. Si on dit à des élèves : “Maintenant vous allez faire attention”, on les voit froncer les sourcils, contracter les muscles. Si après deux minutes, on leur demande à quoi ils font attention, ils ne peuvent pas répondre. Ils n’ont fait attention à rien. Ils ont contracté leurs muscles. »
Simone Weil distingue trois types d’attention :
- L’attention globale ou le regard panoramique : C’est la condition de l’attention, c’est d’être capable de se sortir de l’émotionnel pour avoir une vision plus large. Développer cette capacité est fondamental pour lutter par exemple contre la violence. Si on est capable d’attention globale, on est capable de s’observer. La clé est le mouvement accompagné du souffle, mais la base est la conscience.
- L’attention focalisée ou sélective : Elle suppose l’attention globale, c’est l’attention de l’esprit sur un point. C’est être capable de se désengager des émotions. L’élève doit d’abord s’élever pour être capable de se focaliser. Simone Weil disait « il faut être capable de monter au sommet de sa montagne intérieure avant d’être capable de se focaliser. »
- L’attention à l’autre : « L’âme se vide de son propre contenu pour recevoir en elle-même l’être qu’elle regarde. » Souvent notre esprit est encombré de préoccupations, de pensées, il faut faire place nette pour être à l’écoute de l’autre. Et très souvent, nous pensons à ce que nous allons dire, et par conséquent nous ne sommes pas en rapport avec l’autre.
Définition du mot yoga :
Le mot yoga vient de la racine sanscrite YUG qui veut dire jonction (latin : jungere = joindre).
Le yoga consiste donc à relier nos différents niveaux de conscience (corps, souffle, mental…) pour harmoniser notre personnalité et à rejoindre notre centre profond pour mieux nous ouvrir à l’autre.
Platon compare l’homme à un attelage :
- L’habitacle de la diligence symbolise le corps. Vous ne pouvez pas arriver au terme de votre voyage si les essieux sont rouillés ou le bois pourri. D’où l’importance d’un travail sur le corps.
- Les chevaux représentent les passions. Le yoga n’éteint pas les passions qui sont un moteur important.
- Le cochet qui va diriger, guider les chevaux. D’où l’importance de prendre du recul.
- Dans la diligence, il y a également le voyageur. Il symbolise le sens, le but.
Ainsi le yoga est le lien entre ces quatre éléments. Cela correspond à différents niveaux de conscience.
Dans la Bhagavad-Gita, on peut lire cette définition du yoga : l’humanité est semblable à un collier de perles. La perle symbolise le caractère unique de chaque personne. Quant au fil d’or qui relie les perles, il représente le Soi à l’intérieur de chacun qui nous relie à tous les autres êtres.
Donc à la fois unique, infiniment précieux, et en même temps uni aux autres. Le yoga est ainsi le fil d’or qui nous unit. Ce fil d’or se trouve au plus profond de chacun de nous.
Définition de Patanjali :
« Le yoga est le calme des vagues du mental ».
Mon esprit est semblable à la mer, agitée ou calme. Si elle est apaisée, je peux voir le reflet de la lune à sa surface ou la perle dans ses profondeurs. Être attentif, c’est calmer les vagues de l’esprit.
Définition d’un yoga universel :
« Le yoga est une science pratique » Swami Sivananda
Le yoga n’est pas une religion. C’est une méthode, une science expérimentale de la conscience qui comprend un protocole et des étapes (celles définies par Patanjali).
Les étapes de Patanjali :
- Yama : règles pour vivre ensemble et s’entraider
- Nyama : pratiques pour se désencombrer
- Asana : habiter son corps et se mettre en bonne posture
- Pranayama : maîtriser son souffle pour gérer ses émotions
- Pratyahara : maîtriser l’empire des sens et développer ses sens intérieurs
- Dharana : calmer les vagues du mental pour se concentrer
- Dhyana : méditer pour avoir un esprit clair
L’application du yoga dans l’éducation
Le yoga peut être envisagé de plusieurs manières :
1. Dans le cadre des cours eux-mêmes (c’est ce qui est pratiqué au RYE)
- Soit comme exercice de transition (recentrage en début de cours, relaxation après un travail…)
- Soit intégré à la matière enseignée (utilisation des sens intérieurs par exemple en vivant une scène d’histoire ou un conte…).
2. En dehors des leçons comme cours facultatif (séance de yoga pour les élèves).
Le but du yoga à l’école est-il compatible avec la laïcité ?
Le but du yoga est de devenir ce que je suis dans une société basée sur la coexistence des libertés. C’est le fondement de nos sociétés.
Pour pratiquer pleinement ce que je suis, pour devenir un être autonome qui se donne à soi-même sa propre loi, j’ai besoin de la méthode du yoga et des compétences qu’elle me permet d’acquérir pour mieux opérer ses choix dans la vie :
- Savoir vivre avec les autres
- Savoir se désencombrer
- Habiter son corps
- Gérer ses émotions
- Se détendre
- Savoir se concentrer pour mieux apprendre, etc.
Cela permet à l’élève non pas de se diriger vers tel point, mais de mieux assumer ce qu’il est et de mieux faire des choix dans sa vie.
Le but de l’éducation consiste donc à libérer l’enfant de ses conditionnements (Platon) pour qu’il réalise ses potentialités (Aristote) en devenant lui-même (Nietzsche). Or le yoga propose la libération des conditionnements (moksha) en vue de la réalisation de soi. Le yoga est donc pleinement compatible avec notre éducation laïque qu’il contribue à renforcer.
Les étapes de la pratique
La règle de base est que dans chaque exercice il faut bien toujours respecter cette gradation :
- Le corps
- Le souffle
- L’espace frontal
- Le mental
Cela veut dire que si l’on vous demande de vous concentrer sur un mot et de visualiser à l’intérieur de vous cette image. Cela sera un exercice difficile. Par contre, si l’on vous demande d’abord de prendre conscience de votre corps, de votre souffle et de votre espace frontal, il sera plus facile à votre mental de visualiser l’image.
Habiter son corps et se mettre en posture (l’art d’être bien dans sa peau)
Le corps est notre prise de terre. En l’absence de prise de terre, il existe un danger sérieux. De la même manière, un être humain qui n’est pas « relié à la terre », corps et âme, sensations et pensées, est en danger. La posture corporelle agit sur le mental. Quand on exécute des postures physiques, on ne s’appuie pas seulement sur le corps, mais aussi sur les émotions et le mental. L’équilibre, le bien-être et la vitalité qui résultent de la pratique de postures corporelles ont une forte répercussion sur le mental. Dans la foulée, on éprouve la sensation d’une unité qui rassemble le corps, le mental et l’esprit.
Au niveau corporel, on pratique :
- L’exploration des parties du corps
- Des mouvements conscients (geste – souffle – conscience)
- Des postures comme celles de l’exercice du stop
- Harmoniser ses émotions dans le souffle (l’art de la respiration)
L’état mental est conditionné par le souffle. Parmi les pratiques existantes, vous retrouverez :
- La respiration complète, aux trois étages (abdominale, thoracique, haute)
- La respiration alternée entre la gauche et la droite
- La découverte de l’espace frontal
- Maîtriser l’empire des sens (l’art de la pleine conscience sensorielle et du recentrage par le retrait des sens)
L’intérêt dans le yoga est d’utiliser ses sens intérieurs dans la réalité, dans l’apprentissage. Dans les pratiques à mettre en place, il y aura :
- La pleine conscience du présent en ouvrant tous les sens
- Le recentrage auditif (retrait du sens de l’ouïe)
- Le recentrage visuel (retrait du sens de la vue)
Voici un exercice de recentrage à mettre en place : - Prendre conscience du corps pour éliminer les « pensées parasites »
- Sélectionner un sens
- Intérioriser ce sens
- Revenir vers l’extérieur
Pour conclure, Jacques de Coulon rappelle le conte persan de « Nasrudin » : « Nasrudin projette de construire sa propre maison. Il prend mille conseils auprès de ses proches puis achète tout ce qu’ils lui recommandent : des tuiles, des briques, des tuyaux… Il entrepose l’ensemble pêle-mêle dans son jardin puis convoque ses amis pour pendre la crémaillère. Devant leur stupéfaction, il s’exclame : « C’est curieux ! J’ai pourtant fait exactement ce que chacun d’entre vous m’avait dit de faire. » C’est une belle métaphore de la réalité de nombreux élèves qui collectent un grand nombre d’informations, mais à qui il manque un plan, un architecte.
Sylviana de Lamour en Vadrouille, pour Pass éducation