Au moment où j’écris cet article, cela fait seulement quatre jours que l’officielle rentrée des classes est faite. Quatre jours qui ressemblent à aux « vacances », qui ont le goût des « vacances », et qui pourtant n’en sont pas vraiment, car lorsqu’on décide de vivre l’Instruction En Famille (IEF) il n’y a plus de « vacances ». Par contre il y a un temps de VACANCE, comme l’impression d’un nouvel espace temps, une page blanche qui s’offre à nous. Le temps nous appartient, et il nous appartient de l’occuper, de le passer, de le vivre, à notre guise. Bref, je savoure cette liberté nouvelle, avec l’idée de tranquillement mettre en place de nouveaux rituels, de nouveaux repères. Avec l’élan aussi d’être à l’écoute de mes besoins et de ceux de Choupinette (5 ans1/2) et de Bonhomme (3 ans).
La journée commence en douceur, pour eux comme pour moi car j’ai décidé de m’accorder encore aujourd’hui tout le repos dont j’ai besoin, alors je reste au fond de mon lit jusqu’à ce qu’ils m’en sortent, vers 9h. Et ça, rien que ça, ça me met en joie. De savoir qu’ils ont pu dormir tout leur soûl (et moi aussi!!). Le moment du petit déj’ est heureux, ils papotent, nous cherchons quel jour nous sommes, jeudi, et je les informe de ce qui est déjà prévu pour l’après-midi. Choupinette chantonne les jours de la semaine et ça épate son frère qui l’écoute attentivement avec ses oreilles et ses yeux grands ouverts… et la bouche pleine de son doudou tout humide d’être tellement mâchouillé.
Puis ils sautent de leur chaise et courent dans la salle vérifier que la cabane du chat construite la veille a tenu le coup pendant la nuit. J’ai un moment calme, à déguster lentement une tisane épicée juste comme il faut. Mon cerveau retrouve doucement un rythme de croisière, quand tout à coup, j’entends que le ton monte à côté. J’écoute sans rien dire. Choupinette râle. Son frère refuse de jouer de la manière dont elle, elle veut jouer. Choupinette trépigne. Je tente une intervention préventive, pour détourner son attention vers moi plutôt qu’elle se focalise sur Bonhomme qui lui, reste sur sa position. « Qu’est-ce qui t’arrive ? » que je lui demande. Elle grogne. Pas décidée à m’en dire plus. Je crois que son cerveau, à elle, est passé en mode « bug ». Elle tourne en rond, grogne de plus en plus fort, et de plus en plus aigu. Là, c’est dur pour mes tympans, qui se fissurent un peu plus à chaque fois…et dur pour ma bulle du matin, rose et moelleuse version monde des Bisounours, qui vole en éclat d’un coup. Aïe. « Mais qu’est-ce que tu veux, à la fin ? » que je dis alors, beaucoup moins calmement et joyeuse qu’il y a un quart d’heure. Et comme je n’ai toujours pas de réponse claire et intelligible, ça se transforme finalement en « Mais qu’est-ce que tu veux, bondladebondladebondla ? » Et là, la réponse, terrible, fini par tomber : « JE M’ENNUIE !! » suivi de plein de petits « je m ennuie, je m’ennuie, je m’ennuie, je m’ennuie » comme des miaulements de chat affamé.
Si jamais il restait un peu de bulle moelleuse et rose encore en vie autour de moi, là, c’est carrément l’éclate. Terminé. Mon énergie retombe d’un coup, je suis plombée comme si je venais de recevoir une soudaine averse de grêle sur la tête, les cheveux dégoulinants, le mascara qui coule (ça tombe bien je ne me maquille pas) et des lambeaux de bulle cotonneuse collés sur mon visage et mon pyjama.
Alerte rouge au creux de mon crâne : elle s’ennuie ! Panique à bord : une armée de jugements, critiques, croyances négatives et autres petites phrases assassines et moralisatrices envahissent mon lobe frontal : Je le savais / au bout de quatre jours elle s’ennuie / j’ai fait l’erreur de ma vie en choisissant l’IEF / si elle était à l’école elle aurait plein de copines et d’activités / elle n’aurait pas le temps de s’ennuyer / je ne suis pas capable de lui donner ce dont elle a besoin / c’était quand même bien quand j’étais à l’école moi, pourquoi je la prive de ça / j’ai appris plein de trucs à l’école / elle n’aura aucune culture générale / et la récré, c’était cool la récré / je lui gâche son enfance, son avenir, sa vie entière / elle va perdre ses amis à cause de moi / je ne suis qu’une égoïste, tout ça parce que je veux être tranquille le matin / et bla et bla et bla en mode j’enfonce le clou bien profond.
Alors ça descend dans mon corps, et je sens une grosse boule bien compacte qui me serre d’abord la gorge, puis la poitrine, et verrouille ensuite le plexus genre crampe d’estomac ou début de crise d’angoisse. Bref, je me sens mal. Ma tisane a un goût de pourri tout d’un coup et l’idée d’avoir une journée à passer avec Choupinette qui au choix va me regarder de ses yeux les plus noirs ou va chercher les pires moyens de faire pleurer son frère plus fort qu’elle, me donne juste envie de retourner me coucher et de me réveiller dans un autre monde.
Heureusement je me souviens que dans ces cas-là il y a un truc que je peux faire, facilement, et qui me demande peu d’énergie, c’est : RES-PI-RER. Et surtout souffler. Souffler. Souffler. Pour faire retomber le soufflé. FFFFFFFFFF. En contractant le ventre et le périnée on fait d’une pierre deux coups : mon gainage du matin, hop, c’est fait. Je retrouve un demi-sourire.
Je retrouve aussi mon calme, ce qui me permet de convoquer d’urgence la brigade « anti-auto-flagellation » qui intervient efficacement avec bienveillance, estime de soi, créativité et humour.
Ahhh, ça fait du bien de me dire
- que je m’aime quoi qu’il arrive,
- que l’année dernière, alors qu’elle était en classe de maternelle avec une super chouette maîtresse et des copains/copines toute la journée, il est arrivé plusieurs fois que Choupinette me dise qu’elle s’ennuie, donc ça n’a rien à voir avec le fait d’être scolarisé ou pas,
- que d’ailleurs l’ennui c’est vital ! c’est justement le temps de « vacance » dont je parlais tout à l’heure. C’est le vide créateur. De l’ennui peut naître l’invention, l’innovation, l’œuvre d’art, et l’élan de faire le pas suivant,
- que l’ennui c’est l’hiver, où tout semble mort, et pourtant si on zappe l’hiver, ce n’est pas bon pour la suite des saisons. Rien ne vaut un hiver froid et rude, pour permettre le renouveau du printemps,
- alors confiance, merveilleuse maman que je suis. Ah oui, ça fait du bien de me le rappeler que je suis Merveilleuse, je retrouve mon sourire en entier,
- que c’est important aussi de me souvenir que l’ennui est une saison, un passage, que l’on soit à l’école à l’école ou à l’école à la maison. Ce qui est chouette, à la maison, c’est que j’ai la liberté d’apprendre à mes enfants « l’ennui créatif » qui sera source de joie profonde (en leur permettant de modéliser ma façon de vivre le temps ET en leur laissant de l’espace pour découvrir leurs propres ressources, dans la nature par exemple),
- que beaucoup d’enfants ne savent plus s’ennuyer sans rien casser ni embêter le monde, parce qu’on les a gavé d’activités (pas de « temps mort ») ou qu’on les a brimé dans leur créativité (trop d’interdits, ou trop d’écrans) ou bien encore qu’ils n’ont pas le droit de s’ennuyer… pour nous éviter à nous, parents/éducateurs .. de rencontrer la culpabilité, l’angoisse, le stress et traverser la tempête émotionnelle qui se cache derrière tout ça,
- que pour le moment la méditation et les ballades en forêt ne sont pas encore entrées dans les mœurs de l’école et que c’est en partie pour cette raison que j’ai fait le choix de l’IEF,
- que mon choix de l’IEF s’appuie aussi sur l’idée que ça n’est pas « écologique », ni « socialisant » de vivre toute la journée dans un espace clos en compagnie d’une trentaine d’enfants du même âge (ou d’une centaine, voire beaucoup plus, au moment de la récré),
- et que, si ça se trouve, Choupinette a déjà acquis en deux ans d’école maternelle des réflexes qui la font « sur-réagir » aux moments d’ennuis/de frustration … là c’est ses cris sur-aigus de ce matin qui m’amènent à cette réflexion, et je suis consciente qu’il n’y a pas que l’école qui influence.
N’empêche que, arrivée à ce stade, je suis curieuse de voir comment au fil du temps, l’attitude de Choupinette face à l’ennui va évoluer, en modifiant un facteur important de notre mode de vie : le passage à l’IEF et à un rythme de vie différent.
Je suis curieuse et également enthousiaste à l’idée de relever le défi pour moi aussi : moins d’écrans et plus de méditation c’est une voie qui m’inspire pour incarner le changement que je veux voir dans le monde. Et voilà que pour finir je me sens pleine de joie et de gratitude pour ce temps de centrage et d’introspection que je me suis offert en définitive… comme quoi ce n’est pas l’emballage qui fait la valeur du cadeau : prendre le temps de découvrir ce qui se cache à l’intérieur, derrière les couches et les épaisseurs, au-delà des apparences, c’est le vrai trésor. Et ça, mine de rien, c’est une belle leçon de vie.. le genre de leçon que je ne suis pas certaine que l’on apprend à l’école et que j’aimerais pourtant partager avec mes enfants.. d’ailleurs, ils sont où mes enfants ? Bizarre, je ne les entends plus.. oh, mais si.. à la place des grognements, de la plainte et de la tension électrique qui régnaient il y a quelques minutes, j’entends des rires espiègles et des chuchotements : Choupinette et Bonhomme ont construit une magnifique cabane sous la table de la salle, ils ont réussi en un temps record à ramener de leur chambre les poupées, la dînette, des couvertures, des coussins, sans oublier la gamelle du chat avec des croquettes… bref, ils sont confortablement installés dans leur nouvelle maison ! Une petite voix à l’intérieur de moi est tentée de râler car je vois l’ampleur du déménagement… Chchchchut ! Vive l’ennui créatif ! La joie du rangement sera l’objet d’un autre article !! Vive l’ennui créatif !
A lire aussi : L’ennui de l’enfant, de Sophie Baudry
Ressource : Permettons aux enfants de s’ennuyer pour développer leur créativité !
Delphine Ravaux-Lefavrais, fondatrice de delphinelefavrais.fr, pour Pass Education