Jean – Pierre Lepri, « La fin de l’éducation ? Commencements… »

« Ce n’est pas d’éducation dont les êtres humains ont besoin, c’est d’apprendre »

Jean-Pierre Lepri est un ancien instituteur et inspecteur d’académie, fort de plus de 50 années d’expériences, dont une trentaine à l’étranger. Il est à l’origine du Cercle de Réflexion pour une Éducation Authentique (CREA – Apprendre pour vivre). Dans ce livre et de manière générale, Jean-Pierre Lepri dénonce le décalage entre les buts (les finalités pour reprendre son propre terme) de l’éducation et ce qui se passe dans la réalité d’une salle de classe. Se rapportant à sa propre expérience, il écrit : « il existe un fossé entre ce que j’ai pensé et cru faire et ce que j’ai effectivement fait ». Il ajoute : « il m’a fallu une cinquantaine d’années pour m’en rendre compte ». Il explique pourquoi dans cet ouvrage de réflexion, qui veut s’inscrire dans une démarche indépendante et, selon l’étape du cheminement intérieur propre à chacun, éventuellement mener à une évolution. JP Lepri se dit totalement autonome – il n’est pas rattaché à un mouvement quel qu’il soit. Dans la préface, André Stern nous rappelle que « l’amalgame entre éducation et enseignement institutionnalisé est devenu la norme ». L’école est un conditionnement social, culturel et familial, (voire religieux) qui est ancré dans nos sociétés occidentales depuis des décennies maintenant. Ainsi que l’écrit JP Lepri : « l’éducation, personne n’y échappe, très peu en réchappent ».

École et éducation

Quelle est la vraie finalité de l’éducation ? pourquoi même y a-t-il une éducation ? En France, les finalités de l’éducation se confondent avec les finalités de l’école : l’éducation ne se conçoit plus sans école. Les parents sont totalement privés de leur rôle. JP Lepri dénonce ainsi : 

  • le manque de culture dans les programmes scolaires. Trop de place est laissée au français et aux mathématiques. Lorsque culture il y a, elle est citée, choisie avec soin par des autorités supérieures, de manière totalement impersonnelle, ne tenant aucun compte des goûts et des envies des élèves, se moquant du plaisir qu’ils en tireront, ou pas
  • l’aspect dictatorial des enseignements : « d’un côté, un seul, celui qui édicte, de l’autre, un groupe ou une masse d’exécutants »
  • la compétitivité et la performance permanentes : aussitôt que l’enfant a appris quelque chose, il doit embrayer sur une autre. Il n’a jamais de répit. C’est la course constante à l’accumulation de savoirs. Cela dévalorise totalement l’enfant qui perd en estime de soi, et se sent perpétuellement incomplet. En outre, son existence, sa valeur même en tant qu’individu, sont raccrochées à cette notion de quantité de savoirs engrangée
  • la peur de l’échec, de ne pas plaire à l’adulte, de ne pas satisfaire à ses exigences
  • la dépendance dans les apprentissages, et par ricochet, dans la vie en général : l’école nous apprend que l’on ne peut apprendre sans maître. « L’État oblige à étudier les lois et à vivre selon le modèle et l’exemple que celles-ci imposent »
  • la nécessité de se conformer, de rentrer dans un moule préétabli par la hiérarchie. L’enfant apprend à faire ce que l’adulte attend de lui, avant de répondre à ses besoins. S’il subit la même chose à domicile, il apprendra à totalement refouler ses besoins, et construira ce qui est communément appelé un « faux-self »
  • l’obligation de suivre un rythme imposé, à la fois dans l’emploi du temps journalier et dans la continuité des apprentissages – prédisposition parfaite au monde du travail
  • l’immobilité physique inhérente au fonctionnement du système, la limitation à un espace donné, qui aboutit à un effacement progressif de nos racines 
  • le manque de discernement, l’inhibition de la réflexion individuelle : l’imposition d’un mode de pensée, et l’inutilité d’enseignements non réfléchis, et donc souvent incompris
  • le manque de vrai contact avec autrui – les adultes ont une position dominante bien trop prononcée, et les enfants ne se voient que dans des espaces fortement restreints, sous surveillance et durant un laps de temps limité : autant d’éléments qui ne permettent pas de mettre en Å“uvre une relation vraie, réfléchie, et surtout choisie
  • la « surveillance permanente », l’étouffement absolu de toute forme de liberté, y compris la liberté de penser : l’école apprend à ne pas poser de question, et surtout à ne pas remettre en question ce qui y est inculqué. L’enfant est soumis à ce que dit le maître, aucune remise en question n’est possible
  • les enseignements sont inadaptés et inutiles : l’école n’apprend pas à lire, mais à « déchiffrer », pas à calculer, mais à « dénombrer », et encore moins à écrire.

Et JP Lepri de conclure : « l’enseignement est un processus de destruction. Les représentants de l’ordre que sont les enseignants ne vous laissent pas éprouver vos propres sentiments, ils vous disent ce que vous devez ressentir ». L’école est un « instrument d’asservissement ».

Un système en mode auto-sabotage

Pourquoi JP Lepri pense-t-il que le système scolaire tel que nous le connaissons en France depuis plusieurs décennies est sur le point de s’effondrer ? Comme Peter Gray, il pense que la soif d’extension de l’EN aura sa peau. A force d’en vouloir toujours plus, l’école s’est beaucoup trop immiscée dans nos sociétés et dans nos vies. Sa négation de nos droits les plus élémentaires est devenue trop évidente. L’instruction n’est plus un droit, c’est devenu une véritable injonction – Lepri en évoque pour preuve l’habitude des contrôles à domicile des familles hors-système. Lui, l’ancien inspecteur de l’Éducation Nationale, dénonce avec force ce qu’il considère comme un double abus de la part de l’État : 1) il vérifie qu’une instruction est donnée et 2) qui soit conforme à ses exigences. Ces inspections sont une parfaite illustration d’une généralité que l’on vérifie à tous les niveaux d’application des règles de l’EN : « l’intention et l’action de l’un [sont imposées à l’]autre. Or, cette imposition-même est, pour JP Lepri comme pour la plupart des autres auteurs ayant écrit sur le sujet, la manière de perpétuer le schéma dominant-dominé à travers les générations : quelqu’un qui a appris l’éducation ainsi, imposera à son tour ce même schéma le moment venu. « Si tu l’éduques, non seulement il est éduqué pour toute sa vie, mais il se sent le droit d’éduquer, à son tour ». D’autres exemples en France de l’extension de l’école : 

  • La généralisation des séances de soutien périscolaire
  • L’extension de l’âge de l’obligation d’instruction
  • Le « plan mercredi » : « un cadre de confiance pour les communes et les parents afin d’offrir au plus grand nombre d’enfants un accueil de loisirs éducatifs de grande qualité le mercredi. L’État, en partenariat avec les CAF, accompagne les collectivités pour bâtir des projets éducatifs territoriaux ambitieux et pour faire du mercredi un temps de réussite et d’épanouissement pour l’enfant en cohérence avec les enseignements scolaires » – exemple parfait s’il en est du séparatisme patriarcal à la française. Parce que les parents ne sont pas capables d’offrir des mercredis de qualité à leurs enfants, selon notre gouvernement.

Finalement, l’école s’est tellement étendue, elle a pris tant de place dans nos vies, qu’il n’y a plus de place à prendre. De fait, il s’ensuit forcément alors une crise, qui mènera à sa perte : car toute crise est le signe d’une perte de sens. A vouloir trop dominer, l’école finit par s’auto-détruire.

Quelle alternative au système ?

Selon JP Lepri, « la solution ne réside donc pas dans une énième éducation alternative, mais dans une alternative à l’éducation ». Pour lui, cette alternative est clairement le unschooling. Sans vraiment le nommer, il l’évoque à plusieurs reprises, en insistant sur le besoin humain d’apprendre (pour s’adapter à son milieu, pour survivre), ainsi que sur son caractère adaptatif : le cerveau humain apprend « ce qui lui convient », ce dont il a besoin, et ce qui a du sens pour lui. Apprendre, c’est « prendre avec soi », c’est « in-corporer ». Apprendre est donc un besoin, mais c’est aussi une faculté innée. Tout le monde peut apprendre, sans avoir besoin de l’aide d’autrui. On apprend naturellement à marcher, à parler, il devrait en être de même pour tout le reste. On apprend seul au contact de l’autre, par opposition à se voir infliger un enseignement. Le degré de volonté individuelle impliqué est absolument incomparable, et donc l’ancrage de l’apprentissage l’est également.

Comment accéder à plus de savoirs quand on est en unschooling ?

« Il est possible d’apprendre sans école et sans éducation dans une société avec école ». Il existe de multiples manières de se renseigner sur les méthodes alternatives de l’apprendre en se renseignant ou se rapprochant :

  • des communautés à travers le monde qui ont choisi de vivre autrement : éco-villages, Sudbury, Summerhill, etc.
  • des RERS – Réseaux d’échanges réciproques de savoirs
  • du CREA (« Apprendre pour vivre ») selon JP Lepri
  • des familles unschooling

« Si une société traitait n’importe quel groupe social comme elle traite ses enfants, on crierait à une violation flagrante des droits humains. Mais pour la plupart des enfants du monde, ce ne sont que les attentes et les actes « normaux » de parents, l’école et de la société dans laquelle nous vivons »

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation