Il existe de nombreux types d’associations ou de réseaux auxquels il peut s’avérer parfois utile d’adhérer lorsque l’on pense à instruire son enfant en famille. À travers cet article, je souhaite vous présenter l’un d’entre eux que notre famille utilise depuis de nombreuses années hors du cadre de l’IEF (Instruction En Famille) mais qui me semble avoir toute sa place pour aider bon nombre de parents instructeurs et d’enfants en soif d’apprendre. Dans un premier temps, on présentera ce qu’est et comment fonctionne un système d’échange local. Puis dans un second temps, on découvrira en quoi cela peut nous rendre de fiers services lorsque l’on accompagne son enfant à la maison et en dehors sur la route des apprentissages.
Les systèmes d’échanges locaux
Le système d’échange local ou S.E.L. est le plus souvent une association déclarée composée de plusieurs membres qui désirent échanger entre eux des biens et des services. Il arrive néanmoins que ces associations fonctionnent à leurs débuts en association de fait, c’est-à-dire non déclarée en préfecture. Le plus souvent, une unité virtuelle est utilisée pour quantifier la valeur et la durée d’un échange. La valeur-étalon se base en général sur le temps. C’est-à-dire qu’une unité vaut une minute de service rendu. Pour un échange d’une heure, nous compterons donc soixante unités. Ces unités n’ont pas de valeur monétaire. Elles sont principalement utiles pour évaluer la quantité des services rendus ou objets échangés au sein de l’association et sont ainsi des marqueurs du bon fonctionnement de cette dernière.
Le principal objectif d’un système d’échange local est de retisser des liens entre les personnes en rompant l’isolement, en permettant des rencontres conviviales et la transmission de savoirs et de biens. Partager ses savoir-faire, ses compétences, un bon repas ou une tasse de thé, faire ensemble pour apprendre les uns des autres et devenir plus autonome, rendre service par plaisir ou par envie de rencontrer d’autres personnes. Ce sont autant de bonnes raisons de faire partie d’un système d’échange local.
Un S.E.L. est dit local car, la plupart du temps, il est conscrit à un territoire donné. Il s’agit a fortiori d’une ville ou de son agglomération. Il existe cependant des S.E.L. qui rayonnent sur l’ensemble d’un département. Ce cas de figure se présente surtout lorsqu’il s’agit de zones rurales. Chaque S.E.L. choisit le nom de sa propre unité. Ce dernier est souvent lié à la faune, la flore, au patrimoine historique et culturel du lieu où se créé le S.E.L. En Poitou-Charentes, nous avons des galets à Royan, des pibales à Rochefort, des sourdons à Étaules, des minutes à Angoulême.
Concrètement, comment cela fonctionne ?
Pour communiquer, il n’est pas rare qu’un S.E.L utilise Internet et les nouvelles technologies d’information et de communication. Certains préfèrent utiliser une liste de diffusion par mail avec ou sans modérateur. D’autres encore fonctionnent grâce à un forum ou un site web. Chaque membre rédige lors de son inscription ses offres et ses demandes. Les offres correspondent aux savoirs-faires, compétences, savoirs, qualités, objets que l’adhérent souhaite échanger avec les autres membres de l’association. Les demandes, en conséquence, expriment les besoins de chacun. Un catalogue des offres et des demandes est envoyé régulièrement aux personnes inscrites dans l’association. Il est possible de le modifier quand nos besoins ou nos propositions évoluent. Enfin, pour les situations plus ponctuelles, elles apparaissent sur la liste de diffusion ou sur le site web. Par courtoisie et pour remercier ceux par qui l’échange a pu s’effectuer, il est coutume d’informer le groupe quand un échange a bien eu lieu et que l’on a trouvé son bonheur. Ces offres et demandes, l’échange de services entre personnes, se doivent de rester limités dans le temps, ponctuels et non répétitifs afin de ne pas créer de concurrence aux services commerciaux ou professionnels déjà existants sur le territoire couvert par le système d’échange local. Il convient donc de bien comprendre qu’il s’agit d’un coup de main, d’un moment de convivialité et en aucun cas d’une prestation de service ou une vente. Dans le S.E.L., on ne pratique pas le troc car les échanges ne sont font pas uniquement avec une seule et même personne. Pour donner des exemples concrets :
- Johanna aide Eric à apprendre l’esperanto ;
- Eric prête sa tondeuse à Aurélien ;
- Aurélien aimerait en savoir plus sur la langue des signes, il demande à Noëmi des conseils et de lui apprendre quelques notions ;
- Samira propose un repas festif sur le thème du carnaval où elle convie une dizaine de membres du S.E.L. ;
- Delphine rentre de voyage et aimerait bien partager son expérience, elle propose une projection et une discussion aux personnes que cela intéresse ;
- Claude aimerait apprendre à créer un nichoir à oiseaux, ça tombe bien : Julie propose un atelier ce week-end pour en fabriquer !
- Annie aime le yoga et aimerait bien transmettre ses connaissances, Christa voulait s’initier à cette pratique… Une belle rencontre et un moment de détente s’annonce !
- Liam a grandi et veut donner ses jouets et ses livres à d’autres familles, en échange, il aimerait lui aussi en recevoir. Il aimerait aussi apprendre l’anglais, les arts du cirque et à dessiner. Il ira voir Madeleine qui lui apprendra à jongler et faire des acrobaties ;
- Léa donne son vieux tourne-disque un peu hors d’usage : aussitôt proposé, aussitôt choisi par Gérard qui, bricoleur de génie, le remettra en état tout en proposant aux autres de participer à la réparation pour apprendre.
Bref, on l’aura compris, dans un S.E.L., les possibilités d’offres et demandes peuvent être infinies et tellement variables selon les individus qui le constituent. Il en va de même pour les biens mis en circulation au sein de l’association. Il existe d’autres réseaux assez similaires mais différents des S.E.L. tels que les réseaux d’échanges réciproques de savoirs ou les accorderies. Dans ces dernières on ne peut, par exemple, échanger que des services entre personnes. Pour conserver une trace des échanges, il existe en général une feuille ou un carnet d’échange qui permet de les comptabiliser. Cela sert principalement aux associations qui le souhaitent à établir des statistiques pour les assemblées générales à venir et connaitre les types d’échanges récurrents. Mais comme chaque S.E.L. est assez libre dans sa façon de fonctionner, il arrive aussi qu’il n’y ait pas de comptabilité. À Tulle par exemple, nous avons connu un S.E.L. où l’on reportait uniquement les noms des participants à l’échange et la nature de celui-ci. Il n’y a, dans le cas présent, pas d’unité pour comptabiliser la durée de l’échange. Concernant le cas des objets échangés, chacun évalue avec son vécu propre le temps qu’il aurait consacré pour acquérir cet objet par d’autres moyens. Comme pour les échanges de services, on se met d’accord au préalable sur la durée et la nature du service à rendre pour éviter les mauvaises surprises.
Les temps forts de la vie des S.E.L.
Chaque Système d’Échange Local organise des temps forts, des moments de rencontres entre adhérents. Au sein de certaines associations, il y a des permanences hebdomadaires ou encore des rencontres mensuelles. Mais les véritables moments marquants sont en général les assemblées générales et les bourses locales d’échange ou B.L.E. Elles se déroulent en principe dans une salle mise à disposition par la municipalité qui accueille l’association ou chez des membres de l’association. Les B.L.E. sont de grandes brocantes où l’on s’échange des objets comme sur une brocante mais uniquement en unités de S.E.L. Elles sont généralement précédées d’un repas partagé convivial et suivies de temps d’animations festifs et culturels. Lors des repas partagés, chacun amène un plat et une boisson ainsi que ses couverts, on met tout en commun et on passe un bon moment ensemble ! Des rencontres INTERSEL, entre les S.E.L. d’une même région ou à travers la France sont organisées annuellement.
Et plus si affinité…
SEL’IDAIRE est une association qui a pour objectif de fédérer les différents S.E.L. Sur le site de cette association, on trouvera un annuaire des S.E.L. de France adhérents à SEL’IDAIRE et tous les renseignements concernant le fonctionnement des S.E.L. Enfin, il existe une autre association parallèle au S.E.L. : la Route des SEL. Elle permet aux adhérents des S.E.L. de voyager et d’être hébergés contre 60 unités par nuitée et par personne (sans contrepartie financière) chez l’adhérent d’un autre S.E.L. Cette association fonctionne surtout en France mais a aussi quelques ramifications à l’étranger. C’est une excellente façon d’aller à la rencontre des autres, d’en apprendre plus sur un territoire, de créer des liens humains et de voyager.
Quelques exemples de nos échanges au sein de nos différents S.E.L.
À titre non exhaustif, au fil des années, nous avons :
- donné de multiples coups de main en informatique, bureautique et électroménager (conseil, accompagnement, bricolage), en économie sociale et familiale ;
- aidé aux démarches administratives;
- gardé des maisons et des animaux en l’absence de leurs propriétaires;
- fait garder notre chat ;
- appris quelques bases de permaculture, de construction écologique, découverts des saveurs et recettes locales ;
- découvert les plantes sauvages comestibles de notre département ;
- animé des soirées jeux, des promenades, des pique-niques, des soirées sous les étoiles filantes ;
- refait le monde, réfléchi ensemble à comment le faire avancer différemment mais de façon plus solidaire ;
- appris à écouter les points de vue différents du notre et à les considérer, à accepter les critiques constructives pour mieux avancer ;
- échangé des plantes qui ont agrémenté notre jardin ou rendu heureux d’autres personnes ;
- meublé à moindre frais notre appartement en donnant une seconde vie à des meubles qui embarrassaient leurs propriétaires ;
- trouvé un covoiturage ou un prêt de voiture ;
- acquis nombre de jeux, jouets, livres, vêtements pour notre fils et rencontrer d’autres parents…
Pourquoi adhérer à un SEL lorsque l’on pratique l’IEF (Instruction En Famille ?
Outre d’être un formidable outil d’économie sociale et solidaire, il me semble que les SEL peuvent être fort utiles à n’importe quel parent, a fortiori ceux qui instruisent leurs enfants en famille.
Allier l’économie à l’écologie
Les ressources de tout un chacun n’étant pas illimitées, c’est un bon moyen d’acquérir des objets qui nous seront fort utiles sans bourse délier. Cela débarrasse leurs anciens propriétaires s’ils n’en avaient plus l’usage, cela nous rend service et évite l’achat d’un objet neuf et donc en parallèle la production d’un déchet potentiel en moins. Grâce au S.E.L. on trouve parfois des trésors inattendus et l’on peut recevoir des conseils et des idées. Et quand parfois on a reçu un objet (par le S.E.L. ou n’importe quel biais) et qu’on en a plus l’usage, on le remet en échange sur le S.E.L. plutôt que de le laisser finir ses jours au fond d’un garage ou d’un placard. C’est un cercle vertueux où tout le monde gagne.
Agrandir son cercle social
Il n’est pas rare que les adhérents de ces associations soient majoritairement des personnes retraitées. Elles sont souvent très riches de savoirs et de savoir-faire qu’elles ne demandent qu’à partager et sont désireuses de créer du lien social. Cette fameuse sacro-sainte socialisation chère à l’Éducation Nationale et aux proches lorsque l’on annonce en général notre intention d’instruire un enfant en famille ! Un S.E.L. est en général multi-facette et donc on y retrouve une myriade de population. Dans ce brassage culturel, les enfants seront amenés à rencontrer des personnes de tout âge et tout horizon et donc d’élargir le champ de leurs possibilités et ne pas se cantonner à rencontrer des personnes de la même classe d’âge qu’eux.
Sensibiliser nos enfants au respect et au partage
Par la même occasion, on sensibilise nos enfants au fait que chaque personne mérite d’être respectée et qu’on est tous riches de quelque chose, que nous avons tous un petit quelque chose de spécial, une chose que l’on peut transmettre et partager. Que l’on soit petit ou grand, chacun apporte sa pierre à l’édifice et contribue à sa beauté. Cela nous aide à nous sentir utiles aux autres et à avoir le sens de la communauté.
Étancher la soif d’apprendre en sortant des sentiers battus
L’un des principaux atouts de l’I.E.F. est de pouvoir se permettre de sortir des cadres établis par les programmes scolaires et de suivre les intérêts particuliers de nos enfants. Permettre à cette soif d’apprendre un tas des choses dans des domaines non scolaires de rencontrer l’envie de transmettre de nos seniors, c’est gagnant-gagnant ! Sylvain, marin retraité, racontera avec plaisir ses voyages et apprendra ainsi la géographie à votre petit dernier. Damien qui a vécu l’avènement de l’ordinateur et qui malgré son âge se passionne toujours pour l’informatique pourra apprendre au petit dernier à coder tout en lui faisant une leçon d’histoire qu’il ne trouvera pas dans les manuels scolaires. Annabelle aidera Julie à améliorer son orthographe et lui donnera des conseils pratiques pour sa collection de timbres. Inversement, Julie qui se passionne pour la poterie depuis son plus jeune âge prendra plaisir à montrer à Christine ce qu’elle sait faire et lui apprendra à son tour.
Élargir ses horizons et passer un moment convivial
Dans les S.E.L., on retrouve également beaucoup de personnes fortement actives dans la vie d’autres associations culturelles et locales ou qui militent dans le domaine de l’écologie et de l’économie sociale et solidaire. C’est une bonne porte d’entrée pour se faire une idée de ce qui peut exister comme initiative locale citoyenne sur un secteur donné. Il n’est pas rare que des adhérents proposent des ateliers plus ou moins ponctuels : bricolage, yoga, sorties, composition florale, chorale, etc. Peu importe le thème pourvu que l’on se transmette nos savoirs en partageant un moment agréable. Si, pour l’instant, je n’ai abordé l’intérêt que du point de vue de l’enfant, il est indéniable que cela vaut aussi pour les adultes. On a tous à apprendre les uns des autres. Et ce type d’association nous permet aussi de sortir un peu la tête du guidon et de simplement souffler en passant un moment agréable avec d’autres personnes.
En conclusion
Voici les principaux intérêts selon moi de s’inscrire dans un S.E.L. lorsque l’on souhaite instruire son enfant. Ils sont valables que cette instruction se fasse à la maison ou dans le cadre d’une scolarité plus classique. Au final, ces associations ont beaucoup à apporter à chaque membre de notre société et c’est par la richesse des compétences et des savoirs de ses membres qu’elles contribuent à faire changer les mentalités et évoluer nos pratiques. Pour conclure, je citerais un proverbe africain : pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village ! Et cela rejoint également l’une des phrases qui sert de pierre angulaire à l’ensemble des systèmes d’échanges locaux : le lien vaut plus que le bien.
Pour aller plus loin
D. Bello, fondatrice de lescookiesauxdetoursdumonde, pour Pass éducation