Léandre Bergeron « Comme des invités de marque. Grandir sans éducation »

Aux Éditions Le Hêtre Myriadis, 2019 (1ère édition : 2005, éditions Altess)

« Libérez l’enfant de toute obligation et voyez comme il s’épanouit comme fleur au soleil »

Léandre Bergeron est un auteur québécois. Son anticonformisme et une autre perception de la vie lui ont apporté un peu de renommée, qui s’étend par-delà des frontières. 

Alors qu’il est professeur en vue à l’Université de Montréal, Léandre Bergeron décide en 1975 de « tout plaquer » pour aller vivre en pleine campagne dans une ferme, où tout reste à faire. Il souhaite par ce geste inhabituel « assurer son autonomie », et ne plus être dépendant de toutes les contraintes intrinsèquement liées à une vie de travailleur en ville.

Au contraire de la course effrénée qui tenaille bon nombre de citadins, Bergeron veut changer son quotidien pour un « travail physique », qui lui permettra de savourer une « nouvelle insécurité » – des termes dont l’association peut paraître paradoxale, mais qui prennent tout leur sens quand Léandre Bergeron les justifie par un seul mot qui résume tout son propos : liberté.

Il expose des bribes de ce parcours et de son quotidien autonome dans son livre « Comme des invités de marque ». Il en fait également plusieurs descriptions dans des interviews disponibles sur YouTube. Enfin, il a fait l’objet d’un film : « Léandre Bergeron, avec conviction et sans espoir », réalisé par Christian Mathieu Fournier et Sylvain Rivière en 2008.

Dans ce livre, Léandre Bergeron nous parle du pourquoi et du comment de son instruction en famille, poussée chez lui jusqu’à l’absence d’éducation. 

Il explique qu’après avoir donné naissance à leur première fille à la maison, ne pas envoyer son enfant à l’école est rapidement devenu une évidence. Bergeron avait lui-même beaucoup souffert d’un système qu’il avait décidé de quitter contre l’avis de ses parents. Il rapporte également avoir été beaucoup influencé par un Américain qui faisait beaucoup parler de lui dans les années 1970 : Alexander S. Neill, auteur des « Libres enfants de Summerhill ».

Ses filles étant nées dans les années 1980, cela nous permet d’avoir un recul plutôt intéressant sur les débouchés de l’IEF (Instruction En Famille) – toutes trois ont une vie professionnelle riche et trépidante.

Comment fonctionne la maisonnée Bergeron ?

Léandre Bergeron peut être considéré comme un des pères fondateurs du unschooling. Il préfère parler « d’instruction libre » plutôt que « d’école à la maison ». Il est foncièrement anti-école : c’est un système qui, selon lui n’a « aucun sens ». Il dénonce le fait que, dans nos sociétés occidentales « modernes », l’autorité de l’État a remplacé celle qu’avait autrefois le clergé (omniprésence, omniscience, etc…). Pour lui, l’école c’est clairement la prison. Installés dans leur ferme à la fin des années 1970, et devenus rapidement parents, les Bergeron ont aisément posé les bases de leur autonomie (poules, chèvres, potager, etc). En outre, fabricant pains et pâtisseries et cuisinant de savoureux repas, Léandre est vite devenu le boulanger officiel du coin, alors que sa femme tient des chambres d’hôtes.

Un mode de vie « sans éducation », mais plein d’apprentissages

« Les enfants veulent tout savoir, mais en temps et lieu » – autrement dit, ils apprennent quand ils sont prêts, ou bien quand le besoin s’en fait sentir. De même qu’ils sont capables d’apprendre à marcher et parler par eux-mêmes, ils peuvent tout à fait apprendre le reste de la même manière : non pas en intégrant un « régime militaire » qui ne ressemble en rien à la vraie vie, mais en vivant les choses à leur rythme. Léandre Bergeron s’inscrit totalement dans la démarche unschooling : une philosophie de vie indépendante, épanouissante, ouverte sur le monde et l’environnement de manière générale. L’enfant apprend partout et tout le temps : à la fois en vivant le quotidien avec ses parents, et en explorant le monde au hasard des chemins qu’il croise. Il ne faut rien forcer : tout vient naturellement. Il est important que les enfants se sentent totalement libres de poser des questions, et que les parents leur apportent des réponses ou, encore mieux, des moyens de trouver eux-mêmes les réponses.

Un rythme propre à chacun

Pour Léandre Bergeron – comme d’ailleurs pour nombre d’ardents défenseurs du unschooling, il est totalement inutile de s’inquiéter du manque d’avancée de l’enfant : au contraire, il faut lui faire confiance, et lui laisser du temps. Une de ses filles a appris à lire vers l’âge de 10 ans, et il n’est pas rare de retrouver ce genre de situation quand on étudie des témoignages de unschooling. D’ailleurs, ainsi que le soulignent divers auteurs, qui, hormis l’école, a dicté cette loi qu’il faut impérativement savoir lire vers l’âge de 6 ans ? Dans ce même ordre d’idée, Léandre Bergeron est absolument contre l’imposition de matière ou de thème d’étude – les enfants sont libres de choisir eux-mêmes ce sur quoi ils ont envie de se pencher. Ils apprendront ce dont ils auront besoin précisément quand le besoin s’en fera sentir.

Selon Léandre Bergeron, quelles qualités parentales sont nécessaires pour mener à bien une IEF ?

Se libérer de ses peurs

Il est important de se libérer de nos peurs de parents, car le stress paralyse le cerveau, et « neutralise beaucoup de nos efforts ». Il y a selon lui tout un travail à faire sur soi-même, afin de se libérer du conditionnement général occidental en matière d’éducation des enfants. C’est pour Bergeron une condition impérative avant de commencer une IEF, qui risque sans cela de se retrouver vouée à l’échec. Cette libération de la peur ne concerne pas seulement l’IEF – il évoque les naissances de ses filles à la maison, par exemple, ou bien les débuts de son entreprise de boulangerie. S’inscrire dans son espace et son temps, prendre conscience de sa place dans l’Univers, vivre au présent, tout cela lui a permis, ainsi qu’à sa femme, de se libérer des peurs véhiculées par la pression sociale. Il souligne aussi dans son livre qu’afin de se libérer de toutes nos peurs, il est essentiel de ne pas les nier. Il faut au contraire les accueillir – comme toute émotion – et reconnaître leur légitimité. Puis, les questionner, et surtout ne pas les nourrir. Cette libération permet de vivre totalement le présent, on n’a plus peur pour l’avenir, on ne fait pas de projections, et on ne s’intéresse plus au passé. On savoure le quotidien, sans avoir besoin de superflu (vacances, biens, etc).

Savoir observer l’enfant et comprendre quand il n’est pas réceptif

Il faut « savoir s’arrêter quand l’intérêt de l’enfant n’y est plus. Et ça se voit facilement dans le regard de l’enfant qui commence à vagabonder par-delà votre visage. Les enfants, naturellement, n’aiment pas les overdoses. Il faut que les parents apprennent « à se la fermer ».

Apprendre à ne pas enseigner

C’est-à-dire à ne pas transmettre des connaissances à tout prix, à ne pas forcer la dose, à ne pas être obsédé par l’accumulation de connaissances chez notre enfant comme s’il devait subir un examen dans l’heure qui suit – en fait, à ne pas se laisser noyer dans les « exigences » du socle commun…

Abolir tout test, tout examen, toute évaluation

« Jamais je n’ai posé de questions à mes filles pour vérifier leur degré de connaissances. Jamais je ne les ai évaluées. Jamais d’interrogatoire […] A l’école, c’est l’évaluation constante ». Or, souligne-t-il, « le test, l’évaluation, l’interrogatoire à l’école ou à la maison sont la meilleure façon de détruire la confiance qui doit régner entre enfants et adultes ».

Se libérer des conditionnements liés au système

Il souhaitait se démarquer d’un système où on apprend contraint et forcé, où l’on est forcé d’obéir, où il n’y a pas de place pour la liberté individuelle. Il a « subi » de ses propres termes, une éducation très catholique. Il a grandi dans un monde où régnaient les principes de la « pédagogie noire », c’est-à-dire faire obéir les enfants d’abord et à tout prix. Il s’est beaucoup rebellé contre ça, à travers son œuvre écrite, mais aussi grâce à une tournée européenne où il dénonça ces « nœuds de vipères » que sont les institutions, et la discipline qui y est infligée à tous, « nous rendant esclaves de l’autorité ».

Proposer un environnement riche

Selon lui, à la fois en permettant aux enfants de vivre le quotidien des adultes : car c’est le souhait le plus cher des enfants, et que cet amour et ce désir leur donnent les aptitudes nécessaires à vivre comme les adultes – et cela ne pose aucun souci tant qu’ils sont libres de jouer à volonté à côté. Ainsi qu’il le décrit, ses filles apprenaient la vie « sans attendre ». A 6 ans, elles avaient déjà un compte bancaire, que leurs activités leur permettaient d’alimenter. De quoi bien travailler les maths, d’autant qu’elles accompagnaient leur père lors de ses ventes de boulangerie : elles y allaient avec plaisir, et travaillaient ainsi à la fois maths et langues puisqu’elles comptaient alternativement en anglais et en français.

Proposer un environnement riche, c’est aussi laisser à disposition des enfants de quoi développer leur culture (bibliothèque, films, instruments de musique, outils pour peindre, etc).

Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation