Nous avons vu dans la première partie du dossier “les clefs favorisant l’apprentissage” les premiers éléments du dénominateur commun à toutes formes d’apprentissages dans une démarche épanouissante et durable.
Nous abordons ici l’enthousiasme, les jeux et le respect du rythme.
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L’enthousiasme
L’enthousiasme est l’engrais de notre cerveau, nous explique le neurobiologiste Dr Hutter :
Il influence les fonctions cognitives : perception visuelle, attention, mémoire, fonctions exécutives (la logique, la stratégie, la planification, la résolution de problèmes et le raisonnement) et apprentissages. Les régions cérébrales mettant en oeuvre ces fonctions sont modulées par l’enthousiasme : les noyaux du système cerveaux connectés avec ces régions libèrent de la dopamine, un puissant neurotransmetteur communément appelé l’hormone du plaisir. Lorsqu’il y a une motivation intrinsèque, ce mécanisme est à l’oeuvre et les apprentissages et acquisitions se mettent en place naturellement. Le rôle des adultes accompagnant les apprentissages est donc de mettre en place un environnement favorisant et préservant l’enthousiasme. Il s’agit par exemple de rassembler des supports, du matériel, des éléments qui soutiendront les apprentissages des enfants sur des sujets/thèmes qui l’intéressent et l’enthousiasment. L’enthousiasme guide les enfants dans leur démarche et leurs choix, et il induit les efforts qu’ils doivent fournir pour aboutir à ses apprentissages. C’est un mécanisme naturel qui ne nécessite aucune induction externe. De même, aucune incitation à l’effort n’est nécessaire. Au contraire, une incitation, selon la façon dont elle est réalisée, peut induire du stress et donc bloquer les apprentissages. Il suffit d’observer, par exemple, les efforts incommensurables fournis par un enfant en acquisition de la marche : il n’y a, normalement, lors de ce processus, aucune incitation, et les efforts sont spontanément fournis. Ce “goût de l’effort” dont parle souvent les adultes est donc une interprétation de ce qu’ils pensent nécessaire pour arriver à réaliser une action aboutissant à un apprentissage. Les enfants vont naturellement le garder si les adultes ont su préserver cela, à l’inverse, quand les adultes ont été trop dirigistes ou n’ont pas développé l’environnement adéquat, cela fait perdre aux enfants ce fameux “goût de l’effort”. Cela crée même la peur de l’échec que certains attribuent, à tort, à un tempérament ou un mode de fonctionnement. Aucun enfant ne naît avec la peur d’échouer, c’est un mécanisme induit quand l’enthousiasme n’a pas été respecté, en faisant intervenir des jugements et un système de punitions/récompenses.
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Jeux
Les jeux sont une activité permettant un grand nombre d’apprentissages et acquisitions. Ils se caractérisent par un fort enthousiasme et l’engagement actif de l’apprenant, deux processus clés pour développer de nombreuses compétences qui sont à la base des apprentissages. Les compétences spécifiques et transverses peuvent être développées par les jeux : résistance cognitive, contrôle de soi, aptitudes sociales. Il y a deux façon de jouer pour un enfant : jouer dans un cadre dirigé (notamment par les adultes) ou jouer librement. Le jeu libre est une activité spontanée sans règle préétablie dirigée par l’adulte. Les deux ont leurs avantages dans le processus des apprentissages, mais il est évident que les jeux libres sont un contexte beaucoup plus puissants, notamment parce qu’ils sont inscrits dans notre biologie. En effet, le naturaliste et philosophe allemand Karl Groos a été le premier à travailler sur les fonctions du jeu chez les mammifères. Il a écrit un livre sur le sujet “The play of Animals” (1898) c’est la façon dont ils pratiquent et acquièrent les compétences nécessaires à la survie de leur espèce : les lionceau jouent à se pourchasser parce qu’ils doivent acquérir leurs compétences de prédateurs, ils le font spontanément comme les petits zèbres jouent à s’enfuir parce que leur survie dépend de leur fuite des prédateurs … Ainsi, laissés libres, à la manière de tous les mammifères, les petits d’hommes jouent, depuis la nuit des temps, pour acquérir les compétences spécifiques de leur espèce. Cependant leur différence principale avec les animaux est qu’ils jouent en intégrant leur culture (ce que les animaux n’ont pas). Pour cela ils procèdent à l’observation des spécificités de leur environnement, imitent, et intègrent cela dans leurs jeux. Karl Groos à théorisé ces fonctions dans un second ouvrage “The play of Man” (1912). Plus loin qu’une théorie du jeu, Peter Gray, chercheur en : ychologie, a poussé ces analyses et réflexions en formulant une théorie de l’éducation à travers le jeu :
Selon lui les qualités de curiosité et sociabilité se développent à travers cette activité, et ces qualités sont fondatrices dans les mécanismes d’apprentissages. Les jeux libres favorisent la créativité, l’autonomie et la confiance en soi. De nos jours les enfants ont de nombreuses façon de jouer, avec ou sans supports/matériel, isolément ou en collectivité. Il est intéressant de voir que lorsque les adultes ne classifient pas les activités, ne séparent pas les apprentissages des jeux, les enfants appellent spontanément “jeu” de nombreuses activités comme celle de s’exercer à l’écriture … Dans nos sociétés modernes, on ne peut plus passer à côté du numérique et donc des jeux vidéo. Nous consacrerons un article dédié à ce sujet dans notre espace dédié à l’IEF (Instruction En Famille), mais dores et déjà il est intéressant de souligner que les jeux vidéos ont aussi une fonction dans les apprentissages en favorisant l’attention sélective, les routines et automatismes (ce qui fait travailler la mémoire procédurale) mais également de nouvelles connaissances (en lien avec la mémoire sémantique).
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Respect du rythme.
L’enfant est un être en maturation connaissant différentes étapes de développement. Connaître ses étapes, et le rythme induit par celles-ci, est essentiel pour accompagner les enfants de façon respectueuse et donc favoriser ses apprentissages et acquisitions. Cela permet aux adultes de fixer des attentes réalistes par rapport aux capacités des enfants. Bien sûr, chaque individu a ses spécificités en terme de développement et rythme, mais il y a des grandes lignes communes (stade de développement cérébral, moteur, verbal, affectif etc). Accompagner son enfant dans le respect de son rythme de développement permet la mise en place de nombreux prérequis à ses apprentissages. Toute la physionomie, tout le corps de l’enfant est mis au service de ce qu’il va acquérir et apprendre en grandissant. Ainsi le développement de sa motricité, du langage, de ses capacités affectives, cognitives etc. vont reposer sur cette logique. Et tous ces éléments sont fortement imbriqués lorsqu’il s’agit d’apprentissages. Observer son enfant et répondre à ses besoins de base lui permettant de se développer à son rythme est une posture essentielle et fondatrice, et en IEF nous avons la chance d’avoir beaucoup de libertés pour adopter cette posture. Parmi ces besoins il y a les fondamentaux : manger, dormir, bouger, jouer, créer du lien. Chacun d’entre eux est régit par des lois biologiques et individuelles. Or nous évoluons dans des sociétés rythmées par l’économie qui nous empêchent souvent de répondre à ces besoins d’une façon écologique pour nous. Les sacrifices qu’on opère en instaurant des rythmes artificiels sont délétères car induisent une grande adaptabilité et un stress soutenu. Quand le cerveau doit déployer son énergie pour répondre à ce stress, il ne la met pas en oeuvre pour apprendre. Inconsciemment, en ne suivant pas le rythme de nos enfants, en plaçant des attentes irréalistes quant à leurs capacités, on empêche les mécanismes d’apprentissages de se dérouler correctement. Au mieux, ils sont freinés, au pire, bloqués. Nous verrons en détail cette corrélation stress/apprentissage dans un article dédié. A nouveau, les choix des adultes en terme de posture et d’environnement ont un impact considérable sur les mécanismes d’apprentissage des enfants. Nous verrons dans la dernière partie de ce dossier les dernières clefs favorisant ces mécanismes.
Maja Mijailovic, fondatrice du site leslunettesdemaja.fr, pour Pass Education