Quand une famille fait le choix de déscolariser, ou de ne pas scolariser, un enfant, on pense généralement de suite aux démarches administratives que cela implique – beaucoup sont soucieux de ne rien omettre et de tout faire dans les règles – et c’est tout à fait légitime. Néanmoins, faire le choix de l’IEF n’est pas qu’une démarche administrative – en effet, le simple fait de faire ce choix est en soi et de manière globale une véritable démarche expérimentale et créatrice, parce que personnelle et différente de ce qui reste le plus commun dans notre pays – la scolarisation en milieu classique.
En quoi est-ce une démarche expérimentale ?
C’est expérimental parce que c’est nouveau et différent : nous n’avons pas été éduqués dans cette finalité, mais (sauf exception) bien au contraire pour perpétuer le schéma éducatif classique qui se plie à la collectivité et répond aux exigences étatiques. De fait, faire le choix de l’IEF c’est se positionner volontairement dans une démarche expérimentale de grande envergure : ça ne ressemble en rien à ce à quoi nous avons été habitués lorsque nous étions nous-mêmes en âge d’être scolarisés ; ce n’est pas pour cela que nous avons été éduqués. Faire le choix de l’IEF, c’est se déformater du conditionnement habituellement inculqué dans nos sociétés occidentales. L’IEF est donc une nouvelle expérience, que l’on espère belle et durable, pour tous ceux qui se décident à se lancer dans l’aventure. Elle est aussi composée d’une multitude de plus petites expériences, plus ponctuelles et à moindre terme, qui sont elles aussi expérimentales.
Qu’est-ce qu’une démarche expérimentale au sens scientifique du terme ?
« Au lieu de considérer comme le fait la scolastique que l’enfant ne sait rien – ce qui est évidemment faux – et qu’il appartient à l’éducateur de tout lui apprendre – ce qui est prétentieux et irréalisable – nous partons, pour notre enseignement, des tendances naturelles, chez tout individu, à l’action, à la création, à l’amour du beau, au besoin de s’exprimer et de s’extérioriser »
Célestin Freinet
Mener une démarche expérimentale, c’est partir des intérêts de l’enfant. C’est le laisser poser des questions et formuler ses propres hypothèses. C’est être conscient de ses interrogations et de ses domaines de prédilection. C’est enfin mettre à sa disposition divers moyens qui lui permettront de mener des expériences afin de tenter de répondre à ces besoins. On parle aussi de démarche « hypothético-déductive » : l’enfant se pose des questions, il émet des hypothèses. Il va ensuite mettre en œuvre des expériences qui lui permettront d’apporter des réponses et de vérifier ses hypothèses, en construisant un raisonnement, grâce auquel il pourra mieux comprendre comment fonctionne le monde qui l’entoure. Il s’agit d’une démarche scientifique, mais qui peut concerner absolument tous les domaines – l’essentiel étant que cela intéresse vraiment l’enfant, et que la démarche vienne de lui, ou que pour le moins il s’y sente impliqué – sans engagement affectif de l’enfant, la démarche ne servira strictement à rien (sauf peut-être à répondre à un besoin du parent). La démarche expérimentale met en place des processus qui permettent de développer chez l’enfant la capacité à :
- penser par soi-même
- résoudre des problèmes
- construire son propre raisonnement
- adopter une démarche scientifique de raisonnement
- développer sa connaissance du monde
Ce sont autant de capacités qui développent l’autonomie et l’estime de soi, permettant ainsi à l’enfant de s’ouvrir sur le monde, et de ne pas hésiter à partager ses connaissances, ses autres questionnements et ses théories. En outre, la démarche scientifique incite l’enfant à remettre en cause ce qui semble acquis, et ainsi à évoluer – ce qui entre en totale opposition avec le système scolaire classique, qui fait apprendre par cœur une foule d’informations sans les comprendre. L’enfant qui aura appris à raisonner selon une démarche expérimentale, sera en mesure de mener une réflexion – ce qui est en soi bien plus utile que d’accumuler des savoirs incompris.
Une démarche au service du unschooling
Au passage, soulignons que tenir un cahier de ces expériences est une excellente ressource à présenter lors des inspections – ceci, pour apaiser les esprits des parents unschooling qui angoissent parfois énormément à l’idée de cette échéance. Un cahier des recherches expérimentales menées par l’enfant sera une excellente ressource difficilement critiquable par les inspecteurs. Si l’enfant n’aime pas écrire, il peut faire des schémas, des dessins, coller des éléments prélevés dans la Nature, etc – autant de pistes qui lui permettront de s’inscrire aussi dans une démarche créatrice. En outre, vous pourrez faire valoir que ce type de démarche permet de développer diverses compétences présentes dans les exigences du socle commun des connaissances, comme :
- observer et décrire un phénomène
- formuler des hypothèses, les discriminer et les classer
- concevoir un protocole expérimental approprié pour tester une hypothèse
- réaliser une expérimentation
- faire des déductions
- trier, isoler et interpréter des résultats
- construire un raisonnement
- faire un résumé
- présenter ses idées à un interlocuteur par un mode de communication choisi par l’enfant, etc
Il va de soi que tout ce travail fait appel à d’autres compétences chères aux exigences de l’Éducation nationale, comme la lecture, l’écriture, le dénombrement, etc. En outre, cela permet à l’enfant d’apprendre à déconstruire ce qui est acquis, à expérimenter pour se faire sa propre opinion, et, qui sait, à peut-être proposer d’autres idées/solutions, selon les contextes.
En quoi est-ce une démarche créatrice ?
Parce qu’elle est expérimentale, la démarche globale de l’IEF est forcément aussi créatrice : tout est à construire, et, même si l’on fait le choix de prendre un : C (Cours Par Correspondance) par exemple, cela reste créatif puisque c’est nouveau, et que cela implique un choix personnel. Bien sûr, si l’on choisit de modeler nous-mêmes notre IEF plutôt que de prendre un : C, la démarche sera encore plus créatrice. On se laissera forcément moins guider que si l’on prenait un cours tout fait. Au contraire, nous allons imprimer notre marque, façonner notre IEF en fonction de nos goûts, de notre mode de vie, de nos idéaux, de nos attentes. On peut choisir de présenter cette démarche dans le fameux « dossier pédagogique » que l’IA propose de renvoyer suite à la déclaration annuelle d’IEF – ce n’est toutefois absolument pas obligatoire, même si l’on voit souvent, sur les réseaux sociaux notamment, que c’est une démarche « recommandée ». Faire le choix de l’IEF est aussi une démarche créatrice au sens où on choisit de quoi notre IEF sera composé :
- allons-nous suivre une pédagogie en particulier, ou bien piocher ce qui nous intéresse de-ci de-là et composer notre propre pot-pourri d’idées à partir de ces diverses inspirations ?
- allons-nous coller aux exigences du socle commun et aux programmes de l’Éducation nationale en fonction du « niveau » de notre enfant, ou bien allons-nous a contrario laisser notre enfant s’instruire en toute liberté, au gré de ses propres envies et aspirations ?
- quels supports pédagogiques allons-nous proposer à notre enfant ? (va-t-il apprendre à compter avec un manuel classique, ou bien en comptant sur le sol les brindilles d’un sous-bois ?)
on choisit comment on va modeler notre IEF :
- quel rythme allons-nous adopter (si on en adopte un) ?
- de qui allons-nous nous entourer dans notre démarche IEF ?
- aurons-nous dans notre intérieur un lieu dédié à l’IEF ? des endroits de prédilection ? (pour certains, c’est la forêt, pour d’autres, ce sont les rendez-vous mensuels dans une ludothèque avec les autres familles IEF de la région, etc)
Enfin, c’est aussi une démarche créatrice par opposition au système scolaire classique qui lui manque cruellement de fantaisie, de diversité et de renouvellement. En IEF, l’enfant n’est (normalement) pas parqué entre quatre murs durant toute la journée, entourés d’enfants qui ont à peu près son âge, et d’adultes qui lui sont inconnus. Au contraire, en IEF, l’enfant peut laisser libre cours à ses envies et à son imagination. Cela va de la tenue de ses supports (s’il choisit d’avoir des cahiers), aux choix de ses dessins, peintures, et autres créations dites d’ « art visuel ». L’expression créatrice de l’enfant en IEF, ça pourra être aussi dans ses choix de méthodes, de relations, d’environnement, etc – parce que l’IEF, par essence, laisse s’exprimer les goûts, les envies et la personnalité de chacun, elle est forcément, intrinsèquement, une démarche fondamentalement créatrice.
Anne-Catherine Proutière, fondatrice du blog « Pédagogies alternatives en liberté », pour Pass éducation