Des rumeurs circulent ces temps-ci, amplifiées par les réseaux sociaux : l’instruction deviendrait obligatoire à partir de trois ans, ce qui modifierait la législation sur l’instruction en famille. Qu’en est-il réellement ?
Un projet de loi
Rappelons tout d’abord qu’il s’agit, à l’heure actuelle d’un projet. Aux Assises de l’école maternelle, le 27 mars 2018, le président de la République a fait part de sa volonté d’étendre l’âge de l’instruction obligatoire de 3 à 16 ans : «J’ai décidé de rendre obligatoire l’école maternelle et ainsi d’abaisser de six à trois ans en France l’obligation d’instruction dès la rentrée 2019». Mais toute modification législative implique un processus précis, dont le passage devant l’Assemblée nationale, et il ne suffit donc de prendre une décision pour qu’elle soit aussitôt applicable. Il n’y a par conséquent rien de nouveau pour la rentrée 2018-2019 (à l’exception des personnes habitant les Départements et Régions d’Outre Mer, voir plus bas) : les déclarations d’instruction en famille seront à faire pour les enfants qui ont entre 6 et 16 ans, comme d’habitude. Si la mesure est confirmée, le changement n’interviendra pas avant la rentrée suivante, en 2019-2020.
Une mesure symbolique ?
Depuis les lois Ferry remontant à 1882, l’âge de 6 ans marque le début de la période d’instruction obligatoire, qui s’étendait alors jusqu’à 14 ans, et qui va jusqu’à 18 ans depuis 1959. Or, après toute une série de réformes ou de projets de réforme pour le collège, le lycée et l’école primaire, c’est à présent la maternelle qui intéresse le gouvernement. La mesure serait plutôt symbolique, puisqu’une très forte majorité d’enfants vont déjà en maternelle. De nombreuses écoles accueillent même les tout-petits dès deux ans. L’objectif viserait donc à souligner à quel point l’Éducation nationale croit en ces classes, qui restent une spécificité française, puisque dans la plupart des pays, on ne songe pas à scolariser les enfants aussi tôt. Dans les faits, cela ne changera donc pas grand-chose… quoique. Il faut s’attendre à plus de pression contre l’absentéisme alors qu’il existe encore une certaine tolérance dans les petites classes. Et cela abaisse également l’âge pour les vaccins exigés pour l’entrée à l’école. Et, bien sûr, les conséquences seront plus importantes pour ceux qui pratiquent l’instruction en famille. Dans ce cas, cela impliquerait l’obligation de faire une déclaration trois ans plus tôt que ce qu’impose la loi à présent.
Qui dit déclaration dit contrôle ?
Les associations LED’A (Les Enfants D’Abord) et LAIA (Libre d’Apprendre et d’Instruire Autrement) ont demandé à être reçues par le ministère au sujet de cet abaissement de l’âge d’instruction obligatoire. Il semblerait que ce qui est ressorti de cet entretien, c’est que le ministère considère comme évident qu’un tel changement législatif entraînera de fait des contrôles pour cette tranche d’âge. Il reste par contre à en définir les modalités, inconnues à ce jour. Jusqu’à présent, les plus petits pouvaient grandir à leur rythme sans qu’on leur impose un programme et des attentes. Les différences entre deux enfants de trois ans peuvent être énormes sans pour autant préjuger de soucis ultérieurs : les tout-petits apprennent beaucoup, en permanence, mais pas de manière linéaire ni identique pour tous. Leur imposer un contrôle pédagogique risque donc de créer des attentes qui n’existaient pas jusque-là et de leur mettre une pression de manière très précoce, alors même que des études montre que le mal-être chez les élèves plus âgés se révèle déjà fort inquiétant.
L’expérimentation dans les DROM
La situation est par contre différente outre-mer. En effet, une loi datant du 14 février 2017, ayant pour but de favoriser une égalité entre l’Outre-Mer et la métropole, avait déjà prévu une expérimentation sur l’âge d’instruction obligatoire. Voici l’article 58 :
« Par dérogation à l’article L. 131-1 du code de l’éducation, à compter de la rentrée scolaire de 2018 et à titre expérimental pour une durée n’excédant pas trois ans, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion, le Gouvernement peut rendre l’instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre trois ans et dix-huit ans, dès lors que ceux-ci ne disposent ni d’un emploi ni d’un diplôme de l’enseignement secondaire. La présente expérimentation ne fait pas obstacle à l’application des prescriptions particulières imposant une scolarité plus longue. »
Dans la pratique, on trouve bien peu d’informations sur les conséquences pour ceux qui choisissent l’instruction en famille dans les régions concernées. Il semble qu’il va nous falloir patienter pour en savoir plus. Mais il est important de noter que cet article de loi ne se contente pas d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire, mais l’étend également jusqu’à 18 ans, pour lutter contre le décrochage scolaire, mesure qui n’a pas été rappelée lors de la déclaration d’Emmanuel Macron aux Assises de la maternelle. Serait-ce la prochaine étape pour le gouvernement ?
Stéphanie Boudaille-Lorin, auteure du blog S’Amuser Ensemble, pour Pass Education