Aujourd’hui, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Claire qui accepte de nous parler de son expérience de l’IEF (Instruction En Famille) !
Claire vit près de Mulhouse avec sa fille Anne. Née en 2014, elle a aujourd’hui 4 ans. Cette maman célibataire instruit sa fille et suit une formation de comptabilité. Si elle était sûre de son choix initialement, elle a cependant traversé deux burn-out accompagnés de remises en questions qui la poussent à vouloir scolariser Anne dès la rentrée prochaine.
Pourquoi avoir choisi l’IEF ?
« Pourquoi j’ai choisi l’IEF ? Pour de fausses raisons. Je voulais garder ma fille vers moi, et j’assume. »
Claire m’explique ensuite qu’elle avait décidé que sa fille soit instruite à domicile afin que ses rythmes (d’apprentissage, de sommeil notamment) soient respectés. Cette option lui permettait également de suivre la demande de Anne qui souhaitait pouvoir jouer de son instrument deux fois par semaine. Elle souligne un autre point important : elle voulait la préserver des violences qu’elle et son père ont vécus à l’école, telles que les maltraitances, la dévalorisation ou le racket.
Et aujourd’hui, pourquoi penser à une entrée à l’école ?
« Une maman IEF de grands enfants […] expliquait que beaucoup de parents de jeunes enfants font ce choix dans la douleur de ce qu’ils ont pu, eux-mêmes, enfants ou adolescents, subir à l’école. »
Cette discussion a apporté à Claire une prise de conscience. Ces blessures non-soignées étaient encore subies des années plus tard. Nos peurs et notre passé nous sont propres, penser que notre enfant subira les mêmes choses ou en souffrira autant que nous est une projection. La maman m’explique alors à quel point elle pense que ça peut être nuisible.
« Un autre point non négligeable : les copines et les copains. »
Après un certains nombre de rencontre en IEF, et surtout de nombreuses propositions de sorties sans réponses, Claire ne s’est pas sentie satisfaite. Anne souffre malgré tout de n’avoir que très peu de copines, de ne pas être invitée aux anniversaires comme les autres enfants de son âge. Sa maman, quant à elle, pense que l’image qui est vendue de la socialisation des enfants non-scolarisés par les parents concernés est utopique.
« On leur impose les contacts que nous parents avons, et souvent, ils correspondent à nos dogmes, valeurs, nos envies, et non à des choses différentes, contrairement à l’école, où les enfants jouent avec qui ils veulent, et sont confrontés à des camarades aux modes de vies et éducations parfois diamétralement opposés » m’explique-t-elle plus longuement ensuite.
Claire a été déçue par ces rencontres du virtuel au réel. Paradoxalement, elle y a vu peu de bienveillance et d’écoute de l’enfant, de la violence aux cris constants en passant par le laxisme. Elle pense tout de même que les choses peuvent être différentes dans des très grandes villes où il pourrait y avoir plus d’opportunités de rendez-vous entre familles.
Pour terminer, la maman me livre ses inquiétudes concernant l’IEF qui ont fait suite au questionnement de la scolarisation.
« S’adapter au rythme de l’enfant, c’est très bien » , me dit-elle, mais elle a pu observer que certains enfants ne parviennent ensuite pas à s’adapter au rythme des autres, même quand il s’agit uniquement et simplement d’accélérer un peu le pas pour suivre un groupe. Cette inquiétude en emmène d’autres concernant l’avenir de sa fille, et d’autres enfants non-scolarisés. Comment les enfants IEF, une fois adultes, parviendront-ils à s’adapter au rythme de la vie active ? Comment pourront-ils travailler en équipe s’ils ont toujours travaillé seuls ? De la même façon, en fonction de leurs projets ou rêves, ils se trouveront probablement sur les bancs de l’université ou autres écoles, dont certaines sur admission avec dossier scolaire… Ils seront donc confrontés à un mur. Comment s’adapter facilement au système à un âge avancé si cela ne nous a jamais été appris ? Comment seront-ils instruits lorsqu’ils se trouvent dans des familles qui le sont justement très peu ? Ce sont toutes ces interrogations et bien d’autres encore qu’exprime Claire au fil de notre conversation.
Pour revenir au présent, comment fonctionnez-vous aujourd’hui ?
« On a une sorte de melting-pot qui nous convient. »
Claire trouve des idées d’activités ou des fiches sur divers sites internet sur des thèmes qui leur plaisent (comme Noël pour décembre), s’inspire de Montessori, Boscher, et d’autres encore, en prenant ce qui semble au mieux correspondre à sa fille. Anne s’instruit scientifiquement avec son père avec qui elle échange beaucoup sur divers sujets.
Lorsque sa maman étudie, la jeune fille est parfois gardée par une baby-sitter, par sa grand-mère ou son père. Ce fonctionnement permet à Claire de pouvoir travailler mais également, lorsque c’est possible, de pouvoir souffler et s’accorder un petit peu de temps, ne serait-ce que le temps d’un bain. Cependant, Anne a également appris à être autonome sur certaines activités.
La petite famille a un planning hebdomadaire bien ficelé qui leur convient à toutes les deux.
Le matin, la jeune fille se prépare, s’habille, déjeune et travaille un petit peu, et ce, tous les jours, y compris les week-ends. Après le repas du midi, il y a les cours de musique, ou s’il n’y a rien de prévu, elle fait une sieste. Elle est gardée par une baby-sitter une demi-journée par semaine, et un jour et demi par sa grand-mère afin que sa maman puisse aller en cours.
Edit : Trois mois après l’interview, il n’y a plus de plannning. Anne ne veut plus jouer d’instrument. Au quotidien, Claire laisse sa fille jouer comme elle le souhaite. Sa seule demande étant que tout soit rangé à la fin de l’activité ou de la journée. Elle lui propose régulièrement des activités manuelles qu’Anne affectionne particulièrement. Elle est sereine avec l’idée de retourner à l’école. La babysitter vient trois matinées par semaines. Claire se sent mieux, et remonte petit à petit.
Si tu avais des conseils à donner à familles qui se lancent, que leur dirais-tu ?
« Il faut, en tant que parent, s’écouter. »
Pour Claire, il ne faut pas se mettre la pression et accepter que tout ne soit pas aussi rose qu’on l’imaginait. On peut arrêter l’aventure sans pour autant être un mauvais parent. Il est essentiel de penser à soi également, d’avoir du temps pour soi, et d’aller bien. Important également : guérir son enfant intérieur afin que nos vieilles blessures n’aient plus d’impact négatif sur notre enfant.
« Il faut accepter qu’il faut tout un village pour éduquer un enfant. »
Elle a le sentiment que, souvent, les parents ne réalisent pas la charge de travail que peut représenter l’IEF. Peu en maternelle tant que l’instruction obligatoire demeure à 6 ans, mais elle explique que, dès cet âge, ça demande beaucoup plus de travail en amont pour les parents pour bien appréhender les deux. Pour elle, il est essentiel d’en avoir conscience, de s’organiser et de ne pas s’oublier lorsqu’on commence en IEF.
« Instruire, c’est d’abord s’instruire soi-même. »
Avant de commencer l’aventure, il faudrait lire, beaucoup, sur l’évolution de l’enfant, son développement cérébral, ses besoins afin de respecter au mieux son rythme. Pour ne pas aller trop vite et les brusquer à vouloir trop leur apprendre, ou au contraire pour ne pas les freiner dans leur demande, préserver leur curiosité et volonté de découvrir de nouvelles choses.
« Faire confiance à son enfant, et SE faire confiance. »
Elle ajoute : » surtout si c’est le premier » car on risquerait de transmettre nos peurs, que l’enfant ne soit pas au niveau attendu, ne sache pas lire, …
« Voir du monde en dehors de l’IEF ! »
Pour résumer, il faut pouvoir passer le relais et rester lucide sur ses capacités, sans s’enfermer dans des douleurs passées.
Si tu devais choisir un mot pour parler de l’IEF, ce serait :
« Liberté ! »
Je remercie infiniment Claire pour cet échange très intéressant.
Chloé, de La Famille Gwaï, pour Pass éducation